Carte d'identité
Utilité et services de l'arbre
Traits et caractères de l'individu
Ce gigantesque être vivant est une forêt à lui tout seul, qui abrite une faune et une flore très riches. Cette immense colonne d’eau domine le Parc Leopold. Un exemple impressionnant d’architecture de la nature en plein quartier européen. Portrait de l’individu
L’Arbre Capitale
Ce géant, fort et majestueux est un symbole de la capitale. Il pousse au cœur de la Région et de ses dix-neuf communes, au beau milieu d’un parc de la Ville et du quartier européen. Ses racines sont ancrées à Bruxelles et s’étendent jusqu’en bordure de la commune d’Etterbeek. Son tronc et son houppier côtoient le musée des Sciences Naturelles, une institution fédérale. Et sa cime dialogue avec le Caprice des Dieux : l’hémicycle du Parlement européen.
Ce vétéran s’est installé en haut de la colline, sur un versant de la vallée du Maelbeek, il y a plus de 250 ans. En 1851, il a vu naître le 1er grand parc paysager public de la capitale : le Jardin zoologique d’Horticulture et d’Agrément de Bruxelles. Le paysage était alors pittoresque, ponctué de quelques pavillons et serres, fait de reliefs accidentés, de chemins courbes et d’une promenade ombragée le long de plans d’eau. Ce platane d’Orient est le témoin de l’évolution du parc Léopold et de la transformation progressive du quartier en QG européen. Son ombrage a abrité plusieurs générations de lilliputiens.
Aujourd’hui, sa présence majestueuse et rassurante domine la plaine de jeux où les enfants s’amusent. Il surplombe la Friche Eggevoort où les habitants du quartier se rassemblent pour cultiver des légumes. Il voit passer les étudiants du Lycée Jacqmain qui courent autour du parc pendant leur cours de gym. Il abrite les chercheurs du Museum, les fonctionnaires européens et les médecins de l’hôpital qui font parfois une pause sous sa couronne. Du haut de sa canopée, peut-être même perçoit-il les débats du Parlement européen.
Dans la mythologie grecque, le platane est l’arbre associé à Europe, une jeune fille enlevée et protégée par Zeus métamorphosé en taureau. C’est aussi un arbre qui protège la Grèce contre l’invasion de l’empereur perse Xerxès. Puis, sous la plume de Paul Valéry, il est devenu un symbole de la résistance européenne contre le fascisme. Voilà donc un arbre de bon augure pour Bruxelles.
Un arbre forêt
Contrairement à ses voisins de la place Jourdan, ses branches n’ont probablement jamais subi la tronçonneuse. Il ne connaît pas la rude vie citadine des platanes en ville, souvent taillés en porte manteaux. Il a poussé librement et il a toujours bénéficié des soins de jardiniers. Avec son tronc de plus de six mètres de circonférence, et une cime qui culmine à plus de 30 m de haut, il est devenu un spécimen régional, fédéral et international. Ce monument vivant attire l’attention de nombreux scientifiques. Depuis plus de 30 ans, la Région et la Société belge de dendrologie suivent sa croissance de très près.
Cet individu arbre n’a jamais manqué de rien. Il a poussé loin de la concurrence d’autres espèces, dans un milieu protégé qui regorge d’eau et de lumière. Si bien qu’il est devenu une forêt à lui tout seul. Il sert de gîte et de couvert à une multitude d’êtres vivants. Ce gigantesque écosystème accueille des mousses, des lichens, des insectes de toutes sortes. Plusieurs espèces d’oiseaux logent dans ses cavités. Un petit sorbier pousse même à l’enfourchement de l’une de ses branches charpentières. Selon des légendes scandinaves et germaniques, c’est signe de propriétés merveilleuses. Et peut-être l’est-ce aussi dans d’autres cultures…
Si jamais vous passez sous ce platane lorsqu’il arbore son plus beau feuillage, vous croiserez éventuellement un monsieur d’origine asiatique qui se livre à un étrange rituel. Il rend visite à l’arbre, à l’heure où il produit le plus d’oxygène, lorsque le soleil est très haut dans le ciel du parc. Il vient faire des exercices à l’aplomb de la couronne. Il lève les bras très haut en inspirant par le nez. Et puis, il les laisse retomber vers le sol, en amortissant légèrement leur chute avec ses jambes, et en expirant par le nez. Il répète cette gestuelle intrigante pendant une vingtaine de minutes. Il nous a confié qu’il oxygène ainsi son corps dans ses moindres recoins. Ce sage a 80 ans : il en fait à peine 60.
En réalité ce monsieur profite de bien d’autres propriétés dispensées par l’arbre. Car cet immense feuillu libère certaines molécules dans l’air : les phytoncides. Elles aident le corps humain à se défendre contre les virus et les bactéries et ils réduisent l’oxydation de ses tissus. Quand l’immense feuillage de l’arbre s’agite sous l’effet de la brise, il produit aussi des ions négatifs : ces microparticules diminuent le stress, augmentent la joie et l’énergie. Et enfin, l’arbre dégage des terpènes dans l’atmosphère. Ce sont des substances présentes dans les huiles essentielles. Elles détendent le système nerveux et musculaire. Elles stimulent les globules blancs (lymphocites) qui éliminent les toxines et diminuent l’activité des cellules cancéreuses.
Ces bienfaits des feuillus sur notre organisme sont prouvés scientifiquement. Ils sont bien plus puissants en forêt. Le monsieur asiatique n’est pas allé dans les bois mais il a soigneusement choisi son arbre forêt.
Une gigantesque colonne d’eau
Les platanes indiquent souvent la présence d’eau. Dans la Grèce antique on les plantait près des sources et des puits pour s’approvisionner en eau dans leur ombrage. Le Platane d’Orient du parc Léopold n’échappe pas à cette réputation. Il rappelle que la petite tour Eggevoort au bas de la colline était une pêcherie au 17e siècle. Et il signale que non loin de là, le Maelbeek coule toujours sous la chaussée d’Etterbeek.
Les graines de platanes sont étonnamment minuscules : à peine un millimètre. Une de ces graines s’est transformée et a donné un arbre de 32 m. Dès le départ, elle contenait toute l’architecture de l’individu, son patrimoine génétique. Grâce à ce plan, toute la structure de l’arbre a pu se construire au fil des années. Ce phénomène est valable pour tous les arbres. Mais dans ce cas-ci, il s’est transformé en un individu d’une envergure exceptionnelle : une gigantesque colonne d’eau.
Cette colonne est animée par une force énorme. En effet, l’arbre doit pomper l’eau à plusieurs mètres de profondeur dans le sol et la faire parvenir jusqu’aux feuilles de la cime, à plus de 30 mètres de haut. Un double mécanisme permet de faire fonctionner cette pompe. D’une part, les racines dépensent de l’énergie pour absorber l’eau et la diriger vers le haut. Elles amorcent en quelque sorte la pompe qui irrigue l’arbre. D’autre part, les feuilles transpirent : cette transpiration crée une tension qui tire sur l’eau pour la faire monter à travers le tronc, les branches, jusqu’à la cime. Cette tension, véritable moteur de la circulation, peut atteindre de plusieurs bars.
Parfois, le sol est sec et les températures élevées. La tension devient alors trop forte. Des bulles se forment dans les vaisseaux, un peu comme autour des hélices des bateaux sous l’eau. Les « canalisations » (ou « veines ») de l’arbre sont alors bouchées par ces bulles et la sève ne circule plus. Pour éviter d’en arriver là, les pores des feuilles sont capables de se refermer pour limiter la transpiration des feuilles.
Ainsi ce platane, et les arbres en général, sont dotés d’un système de régulation génial. Il permet de faire circuler la sève et il s’adapte aux conditions extrêmes pour éviter que leur structure ne s’abîme.
L’arbre « camouflage »
Difficile de confondre le platane avec d’autres espèces. Ses feuilles en forme de main sont très reconnaissables. Elles ont cinq nervures principales. Chez le platane hybride, celui que l’on croise le plus dans les alignements en ville, les extrémités au bout de chaque nervure sont plutôt carrées. Alors que chez le platane d’Orient, les extrémités sont très pointues, très allongées.
Ses fruits sont des petites sphères hérissées qui restent longtemps accrochées dans les branches. On les voit bien en hiver.
Mais c’est surtout l’écorce qui permet de reconnaître le platane à coup sûr. Elle se détache par plaques aux contours courbes. D’année en année, elle laisse apparaître les tons chauds de l’épiderme de l’arbre : jaune, beige, miel. L’écorce du platane a-t-elle inspiré les imprimés des tissus de camouflage ? Ces motifs rendent-ils cet arbre urbain à ce point discret qu’il devient parfois invisible à nos yeux ?
(Textes et photos par Priscille Cazin https://www.sylvolutions.eu)
Ce portrait est enrichi d’une illustration botanique issue de la Collection de l'Etat fédéral belge en prêt permanent au Jardin botanique de Meise. https://www.plantentuinmeise.be/fr/home/