Carte d'identité
Utilité et services de l'arbre
Traits et caractères de l'individu
Cet individu a poussé en bordure des vergers de l’ancien couvent de Boetendael. Aujourd’hui, seul témoin de cette époque, il rivalise de hauteur avec les immeubles résidentiels. C’est à la fois son témoignage historique et son intérêt en tant qu’élément d’espace vert qui lui ont permis de traverser l’urbanisation du site. Le sol autour de lui a été plusieurs fois creusé, remanié, tassé, lors des constructions voisines. Ces perturbations sont sans doute la cause de sa faible vigueur, mais il se maintient.
Le résidentiel
Arbre banal, comme des milliers à Bruxelles, cet érable appartient à la 4ème espèce la plus plantée en ville. Mais ce spécimen-ci a une certaine classe : il fait partie de ces rares individus qui sont inscrits dans la liste de sauvegarde de la Région. Pour aborder cet arbre, il faut prendre le temps de le regarder. Cela se fait progressivement : d’abord de loin pour l'embrasser dans son environnement. Puis, on peut s’en rapprocher doucement. Alors, les caractéristiques qui rendent cet être vivant si particulier se dévoilent peu à peu à vos yeux.
A 100 mètres
Il tutoie les immeubles mais cela n’a pas toujours été le cas. Au début du siècle passé, il tutoyait d’autres arbres et arbustes dans un massif boisé en bordure de verger. Pour l’imaginer dans son milieu d’origine, on peut se placer Avenue Bourgmestre Jean Herinckx, un peu avant le croisement avec l’avenue Jean Burgers: une trouée dans la haie permet d’entrevoir l’arbre, de l’isoler un peu du milieu urbain qui l’entoure.
Autrefois, cet environnement était un couvent. Autour de l’arbre, les vergers ont fait place aux tours. Témoin de cette évolution, cet érable a donc survécu à la construction de tous les immeubles ce qui le rend déjà remarquable.
Il sculpte et orne le paysage, surtout aux mi-saisons lorsque son feuillage change de couleur. Au printemps, cet arbre est l’un des premiers à fleurir : il se couvre de grappes de petites fleurs jaunes vertes tandis que les autres arbres, eux, sont encore dénudés. Et, en automne, son feuillage se teint de jaune orangé. Ses formes organiques contrastent avec les lignes géométriques de la façade derrière lui. En masquant partiellement l’immeuble, il crée de la profondeur, une perspective. Il donne du caractère au bâtiment. Et son feuillage animé, qui se reflète dans les baies vitrées, lui apporte de la vie. Sans lui, la résidence paraîtrait monotone.
A 40 mètres
Une fois que l’on a contemplé l’arbre dans l’espace avec lequel il dialogue, on peut se rapprocher pour se concentrer sur sa silhouette. Son architecture renferme son histoire. On peut tenter de la lire, surtout en hiver, quand il n’y a pas trop de feuilles.
Son tronc est bien droit. Ses branches, pas très étendues en largeur, lui permettent de cohabiter avec l’immeuble qui a poussé à côté de lui. On distingue deux types de branches. Celles du haut sont équilibrées, ramifiées de façon très progressive, avec des angles ouverts : elles forment un feuillage assez rond. Alors que plus bas, les branches semblent plus nerveuses. Elles partent du tronc en angle plus fermé et s’élancent à la verticale vers la lumière.
Ainsi, on dirait que cet érable a deux étages : deux chapitres dans son histoire. C’est comme si l’arbre se comportait de deux façons, comme s’il avait presque deux couronnes superposées, au lieu d’une seule bien homogène. La partie supérieure est ancienne. Elle s’est épanouie : elle s’est formée à une époque où les immeubles n’existaient pas. Tandis que la couronne du bas, est récente, vigoureuse : elle s’est formée récemment, suite à la taille de grosses branches qui ont été coupées pour éviter que les branches basses ne s’approchent trop des balcons. Tout à coup, le tronc, qui était ombragé par les branches, s’est retrouvé en pleine lumière. Il a réagi vigoureusement pour aller réoccuper l’espace de lumière disponible.
Aujourd’hui, ces rejets poussent rapidement. Mais ils vont progressivement ralentir au fur et à mesure qu’ils profiteront de la zone ensoleillée. Ils reformeront des branches plus épanouies comme celles qui se trouvent plus haut dans l’arbre. Si bien que la couronne de l’arbre retrouvera une certaine harmonie. Cet érable a donc besoin de temps. Inutile de raser ses rejets: ils ont juste besoin d’être accompagnés pour qu’ils n’aillent pas trop vite, qu’ils ne gênent pas les riverains. Si on leur en laissait l’occasion, ils reformeraient des branches basses sous lesquelles il ferait bon se poser: un endroit accueillant pour un parc de résidence.
A 10 mètres
Pour continuer à faire connaissance avec cet individu, rapprochez-vous (1) encore un peu de lui pour le contempler des pieds à la tête. (1) (sans toutefois enjamber la petite haie de la résidence, les photos ci-dessous vous permettent de voir l’individu comme si vous étiez à son pied).
A son pied, le sol est relativement plat et puis il forme une sorte de talus. Ce dénivelé est une trace de l’ancien chantier de construction de l’immeuble. Le sol a été déplacé autour de l’arbre lorsque le bâtiment a poussé à ses côtés. Si l'on pouvait voir sous terre, on verrait sans doute que l’arbre est en train de se réadapter aux chamboulements du terrain. Certaines racines, coupées à l’époque des travaux, sont probablement mortes. Comme pour les rejets dans l’air, l’érable recrée de nouvelles racines dans le sol pour se réadapter à son nouvel environnement.
Juste au-dessus du gazon de la résidence, des piliers obliques semblent sortir de terre au départ du tronc. Ce sont des contreforts. L’arbre produit plus de bois à cet endroit-là pour renforcer sa structure. Au lieu d’être droit, il est « torve ». Ce mouvement de tire-bouchon est inscrit dans l’écorce. C’est comme si on avait essayé de tordre le tronc et faire tourner l’arbre sur lui-même. Ce phénomène a été provoqué par le vent pendant des années : une zone de turbulence créée entre les immeubles. Lorsque le vent touche la couronne, toujours dans le même sens, il induit un mouvement de torsion de l’arbre. Pour éviter la rupture, l’arbre réagit à la contrainte mécanique en renforçant son bois là où c’est nécessaire. On rencontre souvent cette capacité d’adaptation chez les marronniers et les châtaigniers.
Plus haut, le tronc est assez torturé comme souvent chez les érables, surtout quand ils poussent vite. Les bosses en dessous des rejets sont des bourrelets qui recouvrent les plaies des branches qui ont été coupées. L’arbre produit plus de bois si bien que la plaie a quasiment disparu. Reste de temps en temps des petites étoiles au centre de ces bourrelets : elles signalent dans l’écorce le départ d’une ancienne branche.
La cohabitation de cet individu avec les riverains n’a pas toujours été rose. Ceux qui aiment l’érable voudraient pouvoir tendre la main depuis leur balcon pour toucher le feuillage dans lequel ils plongent le regard depuis leur salon. Ils rêveraient presque de pouvoir enjamber leur balcon pour aller bouquiner à califourchon sur une grosse branche, aujourd’hui disparue.
D’autres ne l'apprécient pas car son feuillage prend leur lumière, les oiseaux les réveillent trop tôt, les feuilles donnent un air négligé à la pelouse de la résidence, et surtout, ils craignent que l’arbre tombe un jour sur la façade. Heureusement, cet arbre classé est suivi de près par la Région et la Commune. Ces sentiments opposés sont souvent le lot des arbres en ville. Les bâtiments, les routes ou les parkings, sont construits trop près des géants verts qui étaient là bien avant eux. Parfoisaussi, les jeunes arbres sont plantés trop près de murs mitoyens. Résultat : on dirait que c‘est l’arbre qui n’est pas à sa place.
A la place de l’arbre
Imaginez que vous êtes contre le tronc et que vous ouvrez tous vos sens. Sous le bout de vos doigts, l‘écorce se décolle en petites plaquettes, très fines, géométriques. Elle laisse apparaître un tronc brun. Cela vous rappelle peut-être l’écorce tricolore des platanes, plus connue, qui se desquame aussi mais dévoile un tronc blanc.
Au-dessus de votre tête, les feuilles ont la forme d’une main : elles rappellent encore le platane. Mais les feuilles palmées de l’érable sont beaucoup plus petites, pourvues de trois nervures seulement, et leur bord denté est arrondi. L’arbre perd beaucoup de feuilles en hiver mais pas toutes contrairement au platane qui se dénude.
En automne, devant vos yeux, de petits hélicoptères tourbillonnent dans l’air. Comme des enfants, vous pouvez attraper ces fruits volants disséminés par le vent. En les observant dans votre main vous voyez deux graines munies chacune d’une aile. Elles sont attachées par paires. Vous pouvez les ouvrir et les coller sur votre nez, tel une corne de rhinocéros. Si vous pouviez grimper dans l’érable comme "Le Baron perché" d’Italo Calvino, vous vous pourriez sans doute percevoir la présence des habitants sur les balcons. L’arbre leur rend service: immobile, silencieux, discrètement, efficacement, imperturbablement, humblement, …
Enfin, tel l'érable, vous pourriez imaginer que des racines poussent sous la plante de vos pieds: profondément pour les principales, et dans toutes les directions juste sous le sol pour les plus fines. Jusqu’à l’endroit où vous vous trouviez au début de cet article ...
(Textes et photos par Priscille Cazin https://www.sylvolutions.eu)
Ce portrait est enrichi:
- d’une illustration issue de la Collection de l'Etat fédéral belge en prêt permanent au Jardin botanique de Meise.
-ainsi qu'une série de photos d'arbres de la collection BelTrees jumelés à cet individu.