Carte d'identité
Utilité et services de l'arbre
Traits et caractères de l'individu
L’opéra participatif Orfeo et Majnun rend hommage à la nature ce 30 juin. Il plante une forêt éphémère dans le décor minéral de la place de la Monnaie. Cette forêt accueille une parade lyrique, onirique, et poétique, qui rassemble toute une série d’associations métissées, toutes sortes d’animaux et le public. Tous sont invités à faire pousser un bois lyrique dans les mois qui viennent sur l’atlas de Wood Wide Web.
La Monnaie y a déjà planté son « Arbre Lyrique ». Il révèle le rôle que l’arbre joue dans l’opéra depuis le tout premier spectacle du genre. Nous avons rencontré Reinder Pols (R.P.), responsable de la dramaturgie, pour explorer les liens particuliers qui se tissent entre la Monnaie et les arbres. Une relation qui ne date pas d’hier …
R.P - « Le bois est dans tout ce que nous faisons ou presque. Tout d’abord il est au cœur de la salle. Les premiers théâtres d’opéra étaient complètement construits en bois, et ça sonnait à merveille. Le Teatro Olimpico à Vincenza, mais aussi le théâtre Farnese à Parme, sont de superbes exemples en Italie. Et notre théâtre, qui date de 1855-56, aussi. En principe il est encore en bois. La scène, elle, a énormément changé pour intégrer des matériaux et des techniques plus modernes. Mais le bois reste un élément dominant, surtout dans la salle : il bouge, il vibre, il vit encore. Et ça sonne toujours aussi bien. Nous sommes dans un théâtre vivant, ça c’est clair, grâce au bois ».
Le bois est la caisse de résonance de la salle et de la scène, mais aussi de nombreux instruments. Le bois de l’épicéa ou de l’érable par exemple a des qualités acoustiques magnifiques. Depuis 4 siècles ces essences sont choyées et sélectionnées pour les luthiers ou pour les facteurs. D’autres essences, moins courantes, comme le noyer, le peuplier, le saule, ou même le poirier, étaient aussi utilisées pour fabriquer des instruments d'autrefois. L’arbre est donc fondamental pour la musique en général, et pour l’orchestre en particulier.
R.P « Le bois est précieux pour fabriquer toute une série d’instruments, notamment la caisse de résonnance des instruments à cordes. Il y a aussi les instruments à vent, sauf la flûte qui n’est plus construite en bois aujourd’hui. Mais il y a le hautbois, la clarinette, le basson, etc. Parmi les cuivres, seul le serpent était fabriqué en bois. Cet instrument de la Renaissance a été employé dans l’opéra jusqu’au début du 19ème. Berlioz a écrit pour le serpent basse dont le son est très rude. Et puis il y a les percussions, à commencer par les xylophones : « xylon » c’est le « bois » en grec, et « phonè », le son»
Le son du bois … L’arbre se retrouve donc dans la salle, dans la fosse, et sur scène aussi. C’est d’une telle évidence qu’on l’oublie souvent. Son bois entre discrètement dans la composition des décors fabriqués par les ateliers de menuiserie du théâtre. Mais pas uniquement. Il arrive que l’arbre devienne carrément l’élément central sur scène. La Monnaie l’a déjà placé sous le feu des projecteurs, au cœur même de certaines productions …
R.P « Ce fût le cas dans Daphne de Strauss en 2014. Là, la scène était l’arbre ! Immense. Il occupait tout l’espace. Car dans les "Métamorphoses" d’Ovide, dont Richard Strauss s’est inspiré, la nymphe Daphné se transforme en laurier pour échapper au demi-Dieu Apollon. La Daphne de Jacopo Peri et d'Ottavio Rinuccini est le tout premier opéra en 1598. Ensuite, il y a eu Eurydice en 1600, encore de Jacopo Peri. Et puis l’Orfeo de Monteverdi en 1607, qui est souvent considéré comme le tout premier chef d’œuvre du genre »
Avec Daphné, Eurydice et Orphée, l’arbre joue donc déjà un rôle à la naissance de l’opéra. Et pas des moindres ! Puisque Daphné, personnage principal, devient arbre. Eurydice est une célèbre « dryade » ("chêne" en grec: les dryades sont les filles de Zeus: elles vivent dans les forêts, et les chênes en particulier). Son époux, Orphée, poète et musicien à la lyre enchanteresse fait pousser un bois d’ormes qui le guident aux Enfers où Eurydice est prisonnière.
Les compositeurs d’opéra les plus célèbres ont souvent puisé leurs histoires dans la mythologie grecque, mais aussi scandinave et germanique. Or les mythes sont peuplés d’arbres et de forêts. Si bien qu’ils sont devenus des thèmes et des personnages récurrents dans l’histoire de l’opéra. L’arbre a ainsi enchaîné toutes sortes de rôles : du simple figurant qui se fond dans le décor au protagoniste. Il est tour à tour confident, mentor intimement lié aux héros, leur destin ou leur jeunesse. Il joue parfois un rôle de personnage secondaire, mais néanmoins essentiel dans la dramaturgie : adjuvant ou opposant aux personnages principaux, élément déclencheur du début ou du dénouement de l’histoire.
R.P « Si nous ne devions retenir que quelques extraits pour illustrer ces rôles, nous pourrions citer le platane de "Serse" (« Ombra mai fu », Serse, Haendel) , le saule pleureur de Desdemone (« Canto del Salice », Otello, Verdi), le tilleul de Siegfried (« Murmures de la forêt », Siefried, Wagner), le laurier de Daphné (Strauss), l’arbre dans lequel est taillé Pinocchio ("Pinocchio", Boesmans), le monde de la forêt dans La Petite renarde rusée (Janacek) ou dans La Finta giardiniera (La Finta giardiniera, Mozart). »
Nous vous proposons de découvrir ces rôles au pied de l’Arbre Lyrique, au travers d’archives inédites sonores, video, ou photos de La Monnaie. Ce voyage arboré pourra être prolongé la saison prochaine. Reinder Pols confie : « il y aura aussi un arbre dans le décor de Tristan et Iseult, dans le deuxième acte ». Nous vous donnons rendez-vous dans la douceur de cette ombre, lovés dans un fauteuil de la salle boisée, un programme en papier FSC sur les genoux. Le détail peut paraître anecdotique, mais la Monnaie connaît la valeur de l’arbre.